Quand mon métier de photographe devient un service public

Dans l’univers impitoyable de la location saisonnière, une photographie médiocre équivaut à un logement vide. Les plateformes majeures du secteur – Airbnb, Booking et Abritel – ont établi des standards rigoureux que tout professionnel se doit de respecter. Voici un décryptage méthodique de leurs exigences respectives en terme de reportage photographique.

Vivons-nous à la campagne par hasard ? Nullement. Nous y résidons par choix, pour ses paysages, son calme, sa douceur de vivre. Mais convenons-en : trouver un photomaton fonctionnel dans un rayon de vingt kilomètres peut s’apparenter à une chasse au trésor dont la carte aurait été égarée. Et lorsque, par miracle, vous en dénicherez un, commence alors le véritable supplice : les normes ANTS.

Ces fameuses normes, qui interdisent le moindre reflet sur vos lunettes, proscrivent tout sourire – fût-il bienveillant –, et exigent une neutralité d’expression qui confinerait presque à la morosité administrative. Le photomaton, impitoyable juge de paix numérique, vous recalera sans ménagement. Trois tentatives, à neuf euros la tentative, et toujours aucun cliché conforme. Kafka aurait probablement tiré une nouvelle de cette expérience.

Mais imaginons à présent que vous résidiez en EHPAD. Ou que vous soyez en situation de handicap. Que tenir votre tête droite représente un défi quotidien. Que votre fauteuil roulant soit votre seul moyen de mobilité. Que votre lit soit devenu votre horizon principal.

Comment, dans ces conditions, affronter un photomaton ? Comment satisfaire aux exigences d’une machine programmée pour l’uniformité, quand votre corps refuse parfois de coopérer avec les standards ? C’est là que la photographie d’identité cesse d’être une simple formalité administrative pour devenir ce que j’appellerais, sans emphase excessive, une épreuve de Koh-Lanta. Sauf que les candidats, ici, ne briguent aucune récompense télévisuelle – ils aspirent simplement à renouveler leur carte d’identité.

Alors oui, je me déplace. Je viens à vous, avec mon équipement, ma patience, et cette conviction qu’un photographe peut ajuster son cadrage, son éclairage, son approche, là où une machine reste inflexible. Je prends le temps nécessaire pour que votre photo soit conforme, certes, mais aussi digne. Car interdire le sourire à des personnes qui en ont parfois si peu l’occasion me semble être, au-delà d’une obligation administrative, une petite violence symbolique.

Mon studio itinérant se transforme alors en ce que j’aime considérer comme un service public officieux. Un service que je m’impose, non par obligation légale, mais par conscience professionnelle et, osons le mot, par humanité.

Photographe d’entreprise de métier, je pourrais me contenter de portraits corporate et de reportages institutionnels. Pourtant, ces photos d’identité constituent une part essentielle de mon activité, celle qui me rappelle que la photographie sert aussi – et peut-être surtout – à documenter l’existence de chacun, sans distinction.

Alors la prochaine fois que vous hésiterez entre le photomaton à quinze kilomètres et le photographe « un peu plus cher », songez à ceci : derrière l’objectif se trouve quelqu’un qui comprend que certaines photos, aussi banales soient-elles en apparence, revêtent une importance capitale. Et que parfois, payer quelques euros supplémentaires, c’est aussi choisir la dignité, l’accompagnement, et cette petite part d’humanité qui fait encore la différence.

Parce qu’au fond, faire sourire quelqu’un avant de lui demander de ne plus sourire, c’est déjà un peu le cœur du métier.